En 2013, trois baleines se sont échouées sur le rivage de la pointe nord de Hokkaido, au Japon. Cela en soi n'est pas particulièrement inhabituel mais ces trois baleines n'étaient semblables à aucune espèce de baleine connue à ce jour. Elles étaient plus petites et plus sombres que la baleine à bec de Baird (Beriardius bairdii), l'une des plus grandes des 22 espèces de baleines à bec vivant dans le Pacifique Nord. S'agissait-il de plus petits membres de cette espèce, ou d'autre chose?

Des chercheurs japonais ont effectué des tests d'ADN. Les résultats ont laissé entendre que les trois baleines pourraient appartenir à une nouvelle espèce de baleine à bec, mais le faible nombre d'échantillons ne permettait pas de conclure de manière certaine.

Depuis que les résultats de ces tests ADN ont été annoncés, Philip Morin, de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a voulu en savoir plus. Etait-ce vraiment une nouvelle espèce de baleine, jamais officiellement documentée? Il avait de bonne raisons d'être optimiste: les locaux prétendaient avoir déjà repéré la baleine et l'avait nommée "karasu" qui signifie "corbeau", en raison de sa teinte foncée et sa petite taille.

Malgré tout, la tâche de Morin était loin d'être facile. Les baleines à bec sont connues pour être insaisissables. Elles passent la grande majorité de leur temps loin du rivage, sur des fonds de 3 000 m, se nourrissant de poissons vivants sur le fond et de calmars géants.

"Elles sont très rarement vues et ne s'échouent pas souvent sur les plages. Quand elles meurent, elles sont loin de la côte et se décomposent et coulent" explique Morin. Lui, et une grande équipe de chercheurs internationaux, ont identifié autant d'échantillons de baleines à bec de Baird que possible, à partir de collections de musées et de rares échouages.

Ils ont obtenu un total de 178 échantillons qui avaient déjà été identifiés comme des baleines à bec de Baird - et ont commencé à effectuer des tests ADN. "J'étais curieux de voir si nous pouvions trouver d'autrres spécimens à l'exterieur du Japon" dit Morin. "Les échantillons ont parcouru tout le chemin de l'extrême ouest du Pacifique Nord en Russie, jusqu'au Mexique".

Ils ont trouvé que deux des échantillons issus de collection de musée correspondaient à cette nouvelle et rare baleine plus sombre, actuellement sans nom mais surnommée "la forme noire " de la baleine à bec de Baird. Avec les trois échantillons japonais, ils ont trouvé trois autres échantillons qui correspondent au profil génétique. "Tous sont génétiquement disctincts de la baleine à bec de Baird" écrit l'équipe dans la revue Marine Mammal Science. 

C'était la preuve dont Morin avait besoin pour classer la baline à bec plus foncée comme une nouvelle espèce du genre Beriardius. Il avait maintenant 8 exemples en tout. Cela signifie qu'il y a trois espèces dans ce genre. La "forme noire" est aussi différente des deux autres: la baleine à bec de Baird et d'Arnoux - qui vit dans l'Océan Austral.

"Génétiquement nous pouvons dire qu'il y a une lignée évolutive distincte ici" explique Morin. "La nouvelle espèce est plus semblable à celle de l'Océan Austral qu'elle ne l'est de la baleine de Baird dans le Pacifique Nord avec laquelle elle partage pourtant son océan. Malheureusement cette nouvelle espèce n'a été identifiée qu'à partir d'échantillons prélevés sur des baleines mortes. Elle n'a jamais été observée dans la nature." L'équipe peut néanmoins suggérer que comme les autres baleines à bec, ce sont des grands plongeurs qui passent peu de temps à la surface. Il existe des preuves indirectes qu'elles s'aventurent loin du Pacifique dans des eaux plus tropicales. Leur peau a des cicatrices ovales caractéristiques, la preuve que des squaletets féroces (vivant seulement dans les régions tropicales) ont grignoté de petits morceaux de leur chair.

"Au delà de cela nous ne savons pas vraiment où elles vivent". Nous savons si peu de choses sur les cétacés qui vivent loin de nos côtes car ils sont très discrets et difficile à observer et donc à étudier" déclare Morin. "Maintenant que nous savons que cette nouvelle espèce existe et que nous en savons un peu, nous pouvons commencer à la chercher plus intensément. Il y a une grande curiosité dans la découverte d'une nouvelle espèce".

Traduction d'un article de la BBC Earth http://www.bbc.com/earth/story/20160729-the-new-whale-nobody-has-seen-alive

Article paru dans Marine Mammal Science: Genetic structure of the beaked whale genus Beriardius in the North Pacific, with genetic evidence for a new species