Entre le 9 et le 13 février dernier, 12 baleines à bec de Cuvier ont été retrouvées échouées sur les côtes chypriotes au Nord et au Sud du pays. Malgré les efforts des institutions locales pour leur venir en aide, aucune n’a survécu. Des essais militaires avec tirs ont eu lieu les mêmes jours en mer, à l’Est, au Sud et à l’Ouest du pays.
Des capacités respiratoires extraordinaires !
La Baleine à bec de Cuvier ou Ziphius Cavirostris fait partie des 8 espèces de cétacés résidentes en Méditerranée. Elle peut mesurer jusqu’à 7 mètres de long à l’âge adulte et peser environ 3 tonnes. Son régime alimentaire est composé de céphalopodes, et elle peut vivre jusqu’à 60 ans. Sa population est estimée à environ 3000 individus en Méditerranée (ACCOBAMS Survey Initiative), et elle est classée comme Vulnérable sur la liste rouge de l’IUCN.
Les baleines à bec de Cuvier sont connues pour être particulièrement sensibles au bruit sous-marin. Elles sont de grandes plongeuses et peuvent parfois sonder jusqu’à plus de 3000 mètres de profondeur pendant plus de 3 heures. Un record qu’elles sont les seules à détenir dans l’immensité du monde vivant.
Ces capacités hors du commun les rendent néanmoins plus vulnérables face à des événements acoustiques forts comme l’utilisation de sonars ou les essais militaires, qui les pousserait à fuir la source du bruit trop rapidement, provoquant ce qui s’apparente à un accident de décompression.
Des conséquences mortelles
C’est justement à ce dernier qu’est attribuée la cause de la mort des 5 individus autopsiés par les experts locaux à Chypre. Un rapport préliminaire a effectivement été réalisé par le Cyprus Wildlife Research Institute, et explique qu’il s’agissait de jeunes baleines en bonne condition physique, dont les tailles ne dépassaient pas les 4,7 mètres, qui ont probablement fuient suite à une activité sonore particulièrement intense.
En effet, des bulles de gaz ont été observées dans les artères de tous les individus. Ces bulles s’accumulent dans le corps des cétacés suite à un changement de pression. S’ajoutent à cela une détérioration des organes et des signes d’hémorragie. Autant de mécanismes qui indiquent qu’une embolie gazeuse a eu lieu, suite à un changement anormal dans le comportement de sonde des animaux.
Des saignements au niveau des conduits auditifs témoignent également d’un traumatisme acoustique.
Des événements similaires ont déjà eu lieu en Méditerranée et dans le reste du monde. Une étude réalisée par l’Université de Las Palmas de Gran Canaria en Espagne en 2019 souligne que
“les échouages massifs de baleines à bec étaient très rares avant les années 1960, ils se sont nettement accrus avec le développement de sonars à moyenne fréquence utilisés par les navires militaires pour détecter des sous-marins”.
Quelles solutions pour les baleines à bec de Cuvier en Méditerranée ?
En 2013, au cours de la 5ème réunion des Parties de l’ACCOBAMS (Accord pour la conservation des cétacés de la Mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente), des recommandations ont été convenues :
- Renforcer l’identification et la délimitations de zones particulièrement importantes pour la conservation des baleines à bec de Cuvier ;
- Encourager les acteurs impliqués dans les émissions de bruit sous-marins à prendre en compte ces zones dans la planification de leurs activités ;
- Renforcer la mise en oeuvre d’activité de surveillance de la présence des baleines à bec ;
- Développer des mesures pour réduire les impacts des activités sonores intenses dans les zones identifiées ;
- Envisager la mise en place d’aires protégées spécialement pour cette espèce.
- Etc.
Une problématique à plus grande échelle
La pollution sonore n’affecte pas uniquement les baleines à bec de Cuvier, c’est une des principales menaces qui pèsent sur les populations de mammifères marins.
L’ouï est un sens particulièrement développé chez les cétacés, qui utilisent les sons pour chasser, se repérer dans l’espace, et communiquer avec leur congénères grâce à un sens du langage aiguisé et complexe.
Outre les accidents de décompression qui peuvent directement causer la mort comme à Chypre, la pollution sonore peut également interférer dans les fonctions vitales des cétacés.
Le son se propage 3 fois plus vite dans l’eau que dans l’air, et l’image d’un monde marin comme un univers silencieux n’est qu’illusion. L’intensification du trafic maritime, de l’utilisation de sonars militaires, et d’essais militaires impliquant des tirs et des explosions sous-marines est réelle et a un impact sur la santé des animaux.
Sources : ACCOBAMS Survey Initiative, Cuvier’s Beaked Whale Mass Stranding Event Preliminary Report, Kemal Basat ; IUCN ; MOP5 ACCOBAMS, Novethic.
